15/11/2021

Cérémonie du 11 novembre 2021 à Avon-les-Roches, remise de la Croix du Combattant à M. Jean-Louis Rabusseau

 Cérémonie du 11 novembre 2021 à Avon-les-Roches

Monsieur le Commandant Bernard Aurenche a remis la Croix du Combattant 

à Monsieur Jean-Louis RABUSSEAU. 

Nous adressons toutes nos sincères félicitations à notre Vice-Président pour cette belle médaille.



Article extrait de la Nouvelle République du 15 novembre 2021
Correspondante Marie-Rose Brotier






















Discours de Monsieur le Commandant Bernard AURENCHE

"Ce 11 novembre 2021 à Avon-les-Roches revêt un caractère particulier. En effet, Jean Rabusseau s’est vu remettre aujourd’hui la Croix du Combattant devant le monument aux Morts du village, face à ses proches, amis et concitoyens.

Jean, que de chemin parcouru avant d’en arriver là… mais patience… j’y reviendrai… bientôt… tout à l’heure…. J’espère juste tous vous intéresser suffisamment pour ne pas vous faire trouver le temps trop long….

Effectivement, je veux prendre le temps de revenir avant sur le 11 novembre. Et c’est bien normal. M’arrêter quelques instants sur ce qu’il signifie, même si tout le monde le sait. Nous nous devons bien tous, de consacrer là, ne serait-ce qu’un moment, quelques mots, une pensée, à nos poilus et à nos combattants de toutes les guerres et conflits, soldats professionnels, appelés ou conscrits, en cette Journée Nationale de Commémoration de l’Armistice du 11 novembre 1918 et d’Hommage à tous les Morts pour la France. 

Si le 11 novembre est devenu un jour de mémoire, c'est aussi la mémoire d'un jour, celui de l'Armistice de 1918 qui mit fin aux combats de la Première Guerre mondiale. 

Rappelons-nous… A peine plus d’un mois avant le 11 novembre, le 4 octobre 1918 exactement, les Allemands demandent l’armistice. Ils ont compris, après l'échec de leur contre-offensive de juillet 1918, qu'ils n'ont plus aucun espoir d'arracher la victoire, d’autant plus que les troupes américaines arrivent en renfort des Français et des Anglais. Les Allemands sont confrontés par ailleurs à des mouvements révolutionnaires dans leur armée et des risques de guerre civile en Allemagne. 

En France, la demande d'armistice fait débat. Le président de la République Raymond Poincaré et le général Philippe Pétain voudraient profiter de l'avantage militaire pour chasser les Allemands de Belgique, envahir l'Allemagne elle-même et signifier à celle-ci l'étendue de sa défaite. Mais le généralissime des troupes alliées, Ferdinand Foch, et le chef du gouvernement, Georges Clemenceau, souhaitent en finir au plus vite. 

Après plus d'un mois de négociations, le gouvernement allemand est contraint d'accepter un armistice qui le met dans l'impossibilité de continuer la guerre. 

Cet armistice est finalement signé dans le wagon spécial du généralissime Foch, au carrefour de Rethondes, au milieu de la forêt de Compiègne, le 11 novembre à 5h15 du matin. Quelques heures plus tard, à 11h00, le « cessez-le-feu » sonne sur tout le front mettant un terme à plus de quatre années de guerre. Dans toute la France, les cloches carillonnent à la volée. Dans le camp allemand, c'est aussi le soulagement. L’armistice permet d'arrêter les combats en attendant la signature du traité de paix, le 28 juin 1919, mettant définitivement fin à la Première Guerre mondiale, qui aura fait 20 millions de morts et 21 millions de blessés. La France déplore la perte d’1 400 000 soldats et près de 4 200 000 blessés, sur les 8 millions de soldats engagés de 1914 à 1918. 63% des hommes valides sont partis à la guerre. 300 000 civils Français mourront aussi durant ces 4 années. 

Les survivants veulent croire que cette guerre qui s'achève restera la dernière de l'Histoire, la « der des der ». 

Pourtant, depuis, d’autres guerres ont été menées voire par moments subies aussi. Tout au long de ce dernier siècle écoulé, des soldats sont Mort pour la France et certains tombent encore aujourd’hui. C’est pourquoi, le 11 novembre n’est plus seulement la mémoire d’un jour, il est aussi un jour d’Hommage à tous les Morts pour la France. Un moment privilégié de nous rassembler autour des monuments aux Morts. Pour nous souvenir de nos anciens, de nos aïeux, de nos contemporains pour certains, mais aussi de nos amis, frères d’Armes ou simplement camarades, qui ont donné leur vie pour la France, notre Patrie.

Rassurez-vous, je n’évoquerai pas toutes les guerres. Seulement la guerre d’Algérie et le retrait des troupes Françaises car Jean y était. 

Jean a tout juste 12 ans, lorsque le 1 er novembre 1954, une rafale de pistolet-mitrailleur résonne dans la gorge de Tighanimine. La guerre d’Algérie vient de débuter. Une guerre qui pendant longtemps n’osera dire son nom. Le jeune Jean n’imagine pas, alors, qu’il devra partir un jour soldat là-bas. 

Jean, on ne l’appelle pas encore Jean-Louis à cette époque. Ce prénom composé lui viendra plus tard, quand il sera élu au conseil municipal d’Avon-les-Roches où il fera 3 mandats dont 2 comme adjoint. Le Maire d’alors, Maurice Sébastien, l’appelait tout le temps ainsi. A tous les vents, lui donnant du JeanLouis. Profondément marqué par la mort tragique de Monsieur Sébastien en 1987 au carrefour Sud du camp du Ruchard, Jean, en son souvenir, aimera dorénavant qu’on l’appela Jean-Louis. Comme je l’aime bien, je l’appellerai donc, moi aussi, ainsi tout au long de la suite de mon récit. 

Le jeune Jean-Louis travaille très bien à l’école. J’ai d’ailleurs vu quelques photos de lui en classes, il pose toujours l’air studieux et très sérieux. Il aimerait faire des études et même se voir peut-être un jour professeur d’histoire. Reçu brillamment au certificat d’étude en juin 1956, il doit malheureusement arrêter sa scolarité pour travailler à la ferme car son frère de 7 ans son aîné doit partir pour l’Algérie. Jean-Louis ne reprendra jamais les études. Il restera à la ferme des parents jusqu’à son service militaire en mai 1962, même après le retour d’Algérie du grand frère. 

Appelé le 4 mai 1962, Jean-Louis rejoint le 126° Régiment d’Infanterie, au Quartier Brune à Brive-la-Gaillarde. Il y fait ses classes « à pied » avec moult marches, entraînements au combat et aux tirs menés sur le terrain de manœuvre « sèche pierre », bien nommé, et au champ de tir de Chastanet. Versé dans une section d’élèves gradés, il effectue un stage de radio graphiste durant 4 mois à La Rochelle. Il y suit 6 à 7h00 de cours par jour : morse, écoute, manipulation, exercices sur les postes SCR 394 et siemens, pour ceux qui les ont connus. En fin de formation, Jean-Louis réussit ses examens militaires et obtient brillamment les brevets de phoniste et de radio graphiste. 

Le 5 octobre 1962, il embarque pour l’Algérie. Je ne peux m’empêcher de penser à cette vieille comptine apprise tout petit et qui depuis me poursuit : « Malbrough s’en va-t-en guerre, ne sait quand reviendra… ». Cette chanson enfantine m’a profondément marqué et m’est revenue souvent à l’esprit à des moments bien précis de ma vie. A l’époque, on apprenait des choses terribles aux enfants, ne serait-ce que certains contes de Perrault, ça continue peut-être voire sûrement encore aujourd’hui. Certainement pour montrer et apprendre la vie, que les bonnes choses y côtoient le pire aussi. Mais je ne suis pas là pour philosopher, ni pour parler de moi. Tout comme je ne sais pas si ces mêmes questions agitaient les pensées de Jean-Louis. Certes, les accords d’Evian du 19 mars 1962 avaient été signés et l’indépendance de l’Algérie était effective depuis le 5 juillet 1962. La guerre était finie, l’Armée Française se retirait. Mais depuis le cessez le feu et la paix, des exactions avaient tout de même eu lieu. Des soldats et de nombreux colons Français avaient été tués. D’autres avaient disparus. Des dizaines de milliers de Harkis avaient été massacrés avec leurs familles. La haine était encore palpable et affichée. Je ne sais pas si Jean-Louis avait peur, il n’y a pas de honte à ça, mais je ne suis pas certain que l’on puisse partir serein dans ces conditions là…. 

Arrivé en Algérie, Jean-Louis est affecté au 9° Régiment d’Infanterie de Marine et participe à la garde de l’usine de Oued Barek où l’on assure la mise au point des réacteurs d’avions de Maison-Blanche. Puis, les plus anciens étant partis, il est muté à l’Etat-Major de la Brigade du 331° Escadron comme radio graphiste. Les services de communications fonctionnent 24h/24, Jean-Louis y découvre le fonctionnement en 3X8. 10 stations de compagnies dépendent de son service de transmissions. Le général doit être prévenu systématiquement de tout évènement dans le ¼ d’heure. La pression est constante. 

Les jours se suivent et s’effacent au fur et à mesure, le temps finit par passer bien vite. Jean-Louis est nommé caporal le 1er janvier 1963 et caporal-chef le 1er juillet de la même année. Il est « libéré », c’est le terme consacré, mais je dirai plutôt « rendu à la vie civile » fin octobre 1963. Il aura vécu des moments difficiles, pénibles peut-être parfois, mais il aura appris les transmissions militaires et la radio graphie. Des techniques qui lui ont bien plu et dont il est fier. 

De retour en France, il reprend le travail à la ferme et retrouve Jeannine sa promise qu’il avait connue avant son service. Ils se marieront en octobre 1964 et telles les perruches deviendront inséparables. 

Parallèlement, Jean-Louis veut apprendre un métier car il ne peut pas continuer à la ferme des parents. Il suit une formation d’électricien à Veigné et réussit l’examen fin 1964. Il travaillera dans cette branche jusqu’à son embauche chez Michelin en février 1969, où il passera les 30 prochaines années de sa vie à faire les 3X8, comme à l’Armée. 

En retraite depuis septembre 2001, son temps est partagé entre de nombreuses associations, le jardin, la promenade du chien, la lecture et l’écriture aussi. Jean-Louis écrit des livres sur le patrimoine, notamment. Il est devenu l‘historien d’Avon-les-Roches et s’il n’a pu professer l’histoire comme il l’espérait, il en a fait sa passion. 

Jean-Louis, j’ai voulu raconter votre parcours de vie. Pas seulement votre parcours militaire mais bien replacer votre histoire personnelle dans l’histoire de ces évènements d’Algérie qui ont mobilisé plus d’1 500 000 appelés du contingent, près de 2 millions de soldats en tout, avec les militaires d’active. J’ai voulu montrer que toute votre vie a été transformée, voire modifiée, durablement par cette guerre, tout comme elle a impacté celle de milliers d’appelés comme vous. Par ricochet, elle a aussi profondément marqué toutes les familles Françaises, dont la mienne….

Jean-Louis, aujourd’hui, la France vous remet la croix du combattant. Et c’est bien normal. Pendant longtemps on a négligé tout ceux qui comme vous ont servi en Algérie de 1962 à 1964. On ne voulait pas les considérer comme des combattants comme les autres. Pourtant, le risque était bien réel. Durant cette période, de nombreux soldats sont morts tués là-bas. Il fallait réparer cette injustice et remettre de l’équité entre les différentes générations du feu. C’est chose faite depuis 2019. Vos services en Algérie ont enfin été reconnus, et c’est heureux, car il n’y a rien de pire que l’indifférence et l’oubli. 

Me viennent d’ailleurs en mémoire les paroles que Georges Clemenceau, alors Président du Conseil, prononça devant l’Assemblée Nationale le 20 novembre 1917 :

« Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous ». 

Autres temps, autre guerre, mais ces mots sont emblématiques de la relation d’obligation liant l’État à leurs Anciens Combattants, dont les appelés d’Algérie font tout naturellement partie. 

Jean-Louis, permettez-moi de vous féliciter pour cette belle médaille espérée et attendue depuis si longtemps. Vous avez souvent présenté le coussin pour d’autres, aujourd’hui on l’a porté pour vous. Soyez assuré de mon admiration pour votre génération de soldats du feu d’avant la mienne. Soyez assuré aussi de toute l’affection que je vous porte. Mon amitié vous accompagne.


Avon-les-Roches, le 11 novembre 2021

 Chef d’escadron de réserve Bernard AURENCHE 




 Avon-les-Roches, le 11 novembre 2021 Chef d’escadron de réserve Bernard AURENCHE

Aucun commentaire: