Article paru dans la NR du 7 octobre 2022. Correspondante Marie-Rose BROTIER |
Retrouvez ci-dessous le reportage en images
de la cérémonie commémorative du 80ème anniversaire.
Mesdames Messieurs les autorités civiles et militaires ;
Mesdames
Messieurs les Présidents d’Associations d’Anciens Combattants ;
Mesdames, Messieurs, Cher(e)s Ami(e)s
C’est avec une profonde émotion que je me trouve face à vous et devant
cette stèle pour célébrer le 80ème anniversaire de l’existence de ce lieu de
mémoire.
Emotion d’autant plus grande que j’ai à mes côtés ce Piquet d’Honneur,
ces jeunes soldats de notre armée, appartenant à l’escadron d’appui à la
formation des écoles militaires de Saumur, venus rendre hommage à mes
camarades, tombés à quelques centaines de mètres d’ici, sous les balles de
l’ennemi.
Merci à vos officiers d’avoir assuré votre présence à cette cérémonie.
En vous regardant messieurs, je pense à vos ainés, les « Cadets de
Saumur », élèves aspirants de réserve de l’Ecole de cavalerie et du train de
cette ville qui pendant 48 heures, alors que notre pays était à la dérive, les 19
et 20 juin 1940, se sont battus avec acharnement et ont tenu le terrain, face à
12 000 hommes de l’armée allemande.
Il s’agissait d’empêcher l’ennemi de franchir la Loire entre Montsoreau et
Gennes. Ils avaient livré, face à l’envahisseur, le dernier combat de cette guerre
perdue et, en même temps, on peut dire, le premier combat de la Résistance.
Ils avaient, pour beaucoup, moins de vingt ans.
Hommage à ces combattants d’hier et à ceux qui de nos jours sont sur des
terrains d’opérations dans une guerre un peu spéciale contre un terrorisme qui
nous menace tous.
Rappeler ce passé et ce présent, c’est rappeler qu’aux delà des générations
qui se succèdent, il y a des femmes et des hommes qui donnent leur vie pour la
défense de nos libertés.
Ceux que nous honorons aujourd’hui étaient poursuivis pour leurs idées, ils
étaient communistes, et pour avoir engagé l’action, avec leurs armes, c’est-à-dire sans armes.
Qu’ils soient célèbres ou anonymes, qu’ils soient les héros de tout le pays
ou l’emblème d’un village, leurs noms peuplent nos rues, nos places, nos
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écoles ; des stèles se rencontrent dans nos campagnes en bordure d’une route
ou à l’orée d’une forêt.
C’est la raison pour laquelle les trois associations fondatrices de ce lieu de
mémoire ont pensé que ces premiers résistants tourangeaux n’étaient pas les
seuls à être tombés sous les balles de l’occupant et qu’il serait bien d’associer à
cet hommage tous les autres patriotes tombés devant des pelotons d’exécution
ou dans les combats, ainsi que toutes les autres victimes du nazisme.
C’est ainsi que cette cérémonie du Ruchard est devenue : « Mémoire des
massacrés et fusillés de Touraine ».
Moi ici, devant vous, vous devez comprendre que ma génération est en
voie de disparition. Celle qui suit, qui connait en partie notre passé de la
seconde guerre mondiale et de la Résistance, aura permis de sauvegarder des
espaces de mémoire dont celui de ce camp militaire du Ruchard.
Qu’en sera-t-il demain, quand cette époque sera entrée dans l’histoire ?
Déjà, de nos jours, la jeunesse et nos concitoyens boudent nos cérémonies,
alors, comment faire demain pour que la flamme de la Résistance ne s’éteigne
jamais, comme l’avait affirmé le général De Gaulle.
Cela a été le souci de tous les déportés et des résistants. Dès la fin de la
guerre, on se posait déjà la question, que restera-t-il dans les mémoires de
cette guerre quand tous les témoins et acteurs auront disparu ?
Aujourd’hui, les falsificateurs de notre passé voudraient bien effacer ces
pages glorieuses de notre histoire écrites par ces combattants de l’ombre qui
ne voulaient pas rester spectateurs mais devenir les acteurs de leur propre
destin, écrire l’histoire de leur Patrie, même si cette histoire devait s’écrire avec
leur sueur, avec leur sang.
Ces soldats sans uniforme étaient tous des volontaires, ils étaient à la fleur
de l’âge, et la fleur au fusil, quand ils en avaient un ! Car ces soldats sans
uniforme étaient des soldats sans arme ou presque, à part celles récupérées
sur l’ennemi ou celles qui parfois, les nuits de pleine lune, tombaient du ciel,
dans des containers parachutés sur des terrains clandestins.
« Vaincre ou mourir » telle était leur devise ! Impitoyable devise. Ils savaient,
s’ils étaient pris les armes à la main, que c’était la torture, cette effroyable
torture que l’on craignait tous, puis la mort qui abrégeait nos souffrances.
« Vaincre ou mourir » ! Cruel dilemme quand on a vingt ans ! Si jeunes et
pourtant déjà prêts au sacrifice suprême ! Lutter, souffrir, mourir ensemble
pour une cause supérieure qui les rassemblait tous au-delà de leurs différences,
de leurs contradictions, au-delà de leurs origines sociales, de leurs convictions
politiques, de leurs croyances religieuses. N’est-ce pas cela qui fut, dans notre
combat, l’élément essentiel et décisif qui nous a conduits à la victoire.
Enfants des villes ou enfants des campagnes, hommes de droite ou de
gauche, croyants ou athées, tous n’avaient plus qu’une seule identité, celle des
combattants de l’ombre. Ils avaient tous le même regard tourné vers l’horizon,
vers l’avenir, vers des lendemains meilleurs.
Ils brûlaient tous de la même soif de justice et de liberté.
Cette espérance de construire un monde meilleur reste encore aujourd’hui
une espérance. Les témoins et acteurs de l’époque sont de moins en moins
nombreux. Les faits qui se sont produits appartiennent maintenant, avec le
temps qui passe, à l’histoire. Nous devons en préserver la réalité car il s’agit de
nos libertés.
Il est absolument nécessaire de rappeler le souvenir de ces tragédies pour
maintenir en éveil la faculté de réprobation des actes immoraux de bourreaux
dont l’actualité nous rappelle que les germes n’ont pas encore disparu.
Nous assistons, dans nos médias, à la diffusion de politique fondée sur la
haine, la xénophobie, le racisme, la menace d’un intégrisme religieux, terreau
favorable sur lequel s’était développée la barbarie fasciste. Ces idées que nous
avons déjà combattues restent une menace pour notre démocratie et ont, de
nos jours, selon les résultats électoraux, la possibilité d’accéder au pouvoir.
La découverte de cette époque devient pour la jeunesse une véritable école
de la citoyenneté. Elle devrait nous sensibiliser surtout aux enjeux
d’aujourd’hui car les principes défendus par les Résistants – l’attachement à la
Démocratie, à la République, à la Patrie, le respect des droits de l’homme, la
Liberté – restent, comme nous venons de le voir, des préoccupations plus que
jamais d’actualité.
Toutes, tous, vous aimiez la vie, et là, j’ai une pensée pour mes camarades
du Limousin disparus eux aussi bien trop tôt. Combattants de l’ombre, oui,
vous aimiez la vie, l’avenir vous ouvrait ses bras, vous aviez vos parents, des
amis, des êtres chers, des enfants, qui quelque part, vous attendaient, vous
espéraient.
Votre vie s’est arrêtée là, brutalement, sur les bords d’une route, d’un
chemin, en bordure d’une forêt, par une journée ensoleillée, sous les tirs
meurtriers de l’ennemi. Pour d’autres, ce fut un peloton d’exécution qui
mettait fin à leur jeune vie, comme ceux que nous honorons aujourd’hui.
D’autres, parce qu’ils étaient juifs, communistes, parce qu’ils étaient
différents, étaient condamnés à disparaître dans les camps de la mort. D’autres
encore, hommes femmes et enfants, innocentes victimes, ont été massacrés
par le fer et le feu comme à Maillé et Oradour. Qui peut croire que notre
espèce, dite humaine, soit capable de telles horreurs. Et pourtant !
Un autre temps, une autre époque, c’est pour éviter qu’une telle histoire
puisse se répéter que chaque année nous nous recueillons en ces lieux : en
songeant à ces patriotes, jeunes pour la plupart, et en évoquant ce que fut le
combat de ces Résistants, de toutes celles et de tous ceux qui au cours de ces
années noires de l’occupation ont donné leur vie pour la Patrie et le
rétablissement de la République. Ils ont fait de leur vie notre liberté.
N’oublions jamais leur sacrifice.
Sans retirer aucun mérite à ceux qui étaient plus âgés ou qui dirigeaient la
Résistance, j’ai voulu rendre hommage à cette jeunesse à la recherche d’une
liberté perdue, qui pendant ces quatre années de guerre, d’occupation d’une
armée étrangère, a montré son attachement à l’indépendance de la Patrie, à la
liberté.
Il faut bien admettre, qu’à la distribution des récompenses, la jeunesse fut
souvent oubliée.
Être agent de liaison, porter des messages, transporter des armes, distribuer
imprudemment à la sauvette tracts et journaux, de la prison au poteau
d’exécution ou la déportation, il n’y avait qu’un pas, implacablement franchi
par une répression souvent féroce.
A la veille du débat au Sénat sur l’instauration d’une Journée Nationale
consacrée à la Résistance, le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Jean
Marc TODESCHINI, déclarait entre autres : « La présence des jeunes dans les
cérémonies est-elle encore un indicateur de leur intérêt pour l’histoire et les
mémoires de notre pays et plus largement de leur mobilisation pour la défense
des valeurs républicaines ? Je ne le crois pas. La mémoire, c’est d’abord un
travail pédagogique à conduire sur le long terme ».
Je rappellerai qu’il aura fallu attendre juillet 2013 pour que la Résistance
entre enfin dans l’histoire par l’adoption d’une « Journée Nationale de la
Résistance » le 27 mai de chaque année, qui correspond à l’unification de toute
la Résistance par Jean MOULIN. Journée non chômée, elle est consacrée à la
jeunesse, particulièrement en milieu scolaire, avec pour ambition de
« sensibiliser et promouvoir l’histoire de notre pays, les sacrifices de nos anciens
et les valeurs républicaines de la Nation française ».
Nous sommes évidemment loin du compte. Dans nos écoles, une heure
par an n’est même pas consacrée à cet évènement. Je tiens à rappeler que les
valeurs contenues dans le programme du CNR ont été et restent le socle sur
lequel on a rebâti notre République.
Je conclurai donc mon propos en disant : si par malheur la France
retombait dans l’abime, nous ramenant à ce que nous avons connu, le retour à
une fascisation de notre société fondée sur la haine, car c’est bien de cela dont
il s’agit aujourd’hui, il faudrait à nouveau se rassembler et combattre dans
notre diversité, avec tous les risques que nous avons connus pour reconquérir
nos valeurs républicaines et la paix.
Dans ce combat, alors que le temps des sacrifices sera de retour, rien ne
permet de dire que la jeunesse d’aujourd’hui, celle de demain, n’égalerait pas
ses ainés en s’inspirant de notre passé glorieux, de notre combat pour le
rétablissement de nos libertés.
Refuser l’allégeance, la soumission, mourir debout plutôt que vivre à
genoux, fidèle à notre passé, il y aura des femmes et des hommes capables de
mourir pour cette liberté tant recherchée par les peuples, jamais acquise pour
toujours, il n’est pas inutile de le rappeler.
Ainsi, la flamme de la Résistance ne s’éteindra pas, elle ne s’éteindra jamais.
Allocution de Jean Soury, le 1er octobre 2022
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